Chapitre I

Chapitre I

227A, rue Dapré

La rue était déserte, les lampadaires projetaient des ombres sur le bitume, seul dans la nuit il hâtait le pas, pressé de retrouver son vieil ami. Gillmore avait la tête rentré dans les épaules, un peu comme s’il craignait d’être suivi. Il tournait invariablement sa tête à droite puis à gauche comme pour se rassurer et d’un regard fixe cherchait son chemin, mais il était bel et bien perdu.

Que s’était-il passé pour en être arrivé là? Ce n’était pas dans ses habitudes de parcourir les rues d’une ville qu’il ne connaissait pas à une heure si tardive. Il était arrivé du sud le soir même, John lui avait écrit quelques semaines auparavant, dans sa lettre il avait brièvement fait allusion à une découverte remarquable et lui avait parlé d’un secret qu’il lui serait difficile de garder bien longtemps. Il l’appelait à l’aide de toute évidence.

C’était le mois de novembre et le 24 il décida de prendre congé de ses proches nous étions à tout juste une lune des fêtes de fin d’année, Gillmore pensait qu’il pourrait être de retour pour le Réveillon de Noël ! Cela comptait plus que tout pour lui, c’est tout ce qui lui restait, un ami sincère et sa famille, sa tendre épouse ses enfants et petits enfants. Jamais il n’avait manqué le Réveillon, alors il ferait tout pour être de retour avant le jour J.

Une brise légère et piquante marquait ses joues, il remonta un peu le col de sa Parka et tentait d’allonger la foulée. Il arrivait à hauteur d’une grille surplombée d’une inscription à peine lisible “Parc du Château de Lavy”. Il se souvint maintenant, John lui avait dit de prendre la deuxième à droite après ledit parc, encore quelques centaines de mètres peut-être et il pourra se mettre au chaud. Il fila sur la droite à la recherche du 227A, rue Dapré.

C’est là que résidait John. Les deux amis ne s’étaient pas vu depuis près de dix ans, 10 longues années durant lesquelles ils avaient échangé quelques rares coups de fils ou quelques courriels. Ils allaient se revoir enfin, comment allaient se passer ces retrouvailles, depuis la pandémie les choses avaient bien changé. La distanciation sociale imposée par les gouvernements avait eu raison en quelques années des rapports de convivialité et d’amitié, même au sein des familles l’extrême prudence laissait la place finalement à l’absence de contacts physiques. Plus personne ne se laissait aller à des embrassades. On ne se touchait plus, on s’effleurait à peine!

Ça y est il voyait maintenant l’imposante bâtisse au bout d’une allée gravillonnée, bordée d’une magnifique haie de Durenta Repens. Le portail en bois massif grinça lorsqu’il tenta de l’ouvrir. Une lampe fluo froide éclairait les premiers mètres, c’était bien là le style de John, il ne faisait aucun doute, il avait installé un éclairage qui semblait sommaire mais avait l’avantage d’être solaire et durable. En tout cas beaucoup avaient franchi le pas et s’étaient déconnecté du réseau, John en était un peu l’initiateur, si ce n’est le pionnier. Maintenant Gillmore se dirigeait tout droit vers la demeure de son ami. Une petite inscription gravée sur une planchette de bois à la droite de la porte d’entrée retint son attention, “Beati pauperes spiritu” – Heureux les pauvres en esprit. John avait-il été touché par la grâce ? Rien n’était moins sûr !