Chapitre II

Chapitre II

Beati pauperes spiritu

Gillmore ne trouvait pas la sonnette, il frappa d’abord timidement sur la porte. John était probablement déjà couché, il était déjà tard et ne l’attendait peut-être plus ce soir. Il insista un peu, John ne dormait pas, bientôt la porte s’ouvrit, les deux hommes se dévisagèrent un instant, “Entre” , s’exclama-t-il, “Tu n’a pas été suivi j’espère ?” , lança-t-il à son ami d’un ton inquiet. “Non, je ne crois pas !” , répondit Gillmore. Les 2 amis s’engouffrèrent dans l’escalier pesant qui menait à l’étage. Il était arrivé ! Content d’être là Gillmore lança à John: “Mon ami, mon bon et vieil ami, tu m’as tellement manqué !” . Visiblement c’était réciproque, John ne put s’empêcher d’avancer ses bras vers son hôte pour l’étreindre, comme si ce contact physique lui avait manqué.

“Ça fait du bien de te revoir, tu n’as pas changé, ou si peu” , lui dit Gillmore esquissant un léger sourire, “A peine un peu de ventre, mais une barbe grisonnante, toujours le même quoi !”. À ces mots le visage de John s’éclaira, il se détendit : “Toi aussi tu m’as manqué, tu n’as pas pris une ride”, s’empressa-t-il de répondre comme pour s’excuser de ne pas trouver les mots. Maintenant qu’ils étaient à nouveau réunis ils allaient pouvoir partager leurs souvenirs et John lui dirait peut-être enfin pourquoi il s’est empressé de le faire venir. John proposa à Gillmore de le débarrasser de sa parka et de son “BOB” avant de l’inviter à se rapprocher de la cheminée. Une bûche crépitait et la douce chaleur qu’elle dégageait réchauffait l’atmosphère. Dehors il faisait nuit depuis bien longtemps, l’air était humide et froid, pas encore glacial, mais l’hiver ne tarderait pas à s’installer durablement.

Depuis que le changement climatique avait amorcé sa courbe, les températures négatives repartaient de plus belle. Gillmore qui vivait dans le sud lui, n’avait pas été trop affecté par ces changements. Il faut dire que le temps était imprévisible, mais là il savait à quoi s’en tenir, le mercure était bien en-deçà des 10 degrés. Alors ce petit feu de cheminée avait tout pour lui plaire, il s’installa confortablement dans le sofa les pieds à quelques centimètres à peine du foyer rougeoyant. John après avoir accroché la parka et déposé le “BOB” vint le rejoindre. On sentait son impatience contenue. “Je suis si content que tu sois là, je ne pensais pas que tu viendrais si vite”, dis John à Gillmore. “Tu dois avoir faim, tu prendras un peu de soupe ?”.

Il n’allait pas refuser, il savait qu’un potage lui ferait du bien. Gillmore se leva et rejoignit son ami à table. “Tu vois je n’ai pas oublié, une soupe de courge, ta préférée je crois” , lança John qui s’apaisait maintenant, heureux de la présence de son ami de toujours. C’était finalement ce qu’ils avaient désiré le plus, pouvoir se retrouver ensemble comme au bon vieux temps, le temps ou l’on pouvait se déplacer sans restriction, se réunir, se rassembler et même festoyer. Ce temps était révolu depuis bientôt une décennie. Cette fichue grippe, ce virus qui s’était répandu si vite avait affecté tant de leurs proches, avait eu raison de leurs habitudes, mais avait surtout eu raison de leur liberté. Ils étaient ensemble et c’est maintenant ce qui comptait le plus.

Pendant qu’il mangeait son potage, Gillmore se tourna vers John et lui demanda: “Dis-moi vieux frère j’ai remarqué ta plaque près de la porte d’entrée, tu fais du latin maintenant ?” . John ne répondit pas tout de suite. Après un petit soupir il lança d’une voix grave: “Oh! Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas, je me sens mieux depuis tout ce temps! Finalement tout ce cirque, tout ce confinement ça ma fait réfléchir.” John avait mis à profit son temps pour lire à nouveau, il avait même repris des cours à distance. Les nouvelles technologies avaient envahi son quotidien et personne ne pouvait y échapper, pas même les plus récalcitrant. John avait résisté un certain temps, mais il y avait trouvé aussi des avantages. Alors c’est pas qu’il s’était mis au latin, mais il avait trouvé un moyen simple et rapide pour trouver des citations, alors pourquoi pas en latin se disait-il? Beati pauperes spiritu – C’est à dire ceux qui savent se détacher des biens du monde!