Chapitre III

Chapitre III

Bug – Out – Bag

John vivait seul depuis que son épouse l’avait quitté. Elle ne supportait pas ou plus la fixation qu’il faisait sur la fin des temps. Ils en avaient beaucoup parlé, il avait essayé de la convaincre que quelque chose se tramait. Il faut dire que cette pandémie n’arrangeait rien, tout le monde était devenu plus ou moins parano. Mais lui c’était différent, il avait en lui quelque chose qui l’avait amené à penser que les jours de l’Homme étaient comptés. Mais il se trompait peut-être ? Qui pouvait le savoir, qui pouvait prétendre prédire l’avenir encore ? Le temps c’était arrêté le jour où l’on déclara l’état d’urgence et depuis ce jour rien n’était comme avant.

Le départ de Karry l’avait profondément affecté et depuis il vivait reclus et sortait très peu de chez lui. Les enfants avaient grandi et vivaient à l’étranger. Ils avaient eu trois fils, les garçons souffraient aussi de cette séparation, mais chacun d’eux avait décidé de tenter d’échapper au fatalisme, ils ne pouvaient pas croire qu’aucun avenir ne leur était destiné. Il y avait de la vie, donc il y avait de l’espoir! Rien n’était acquis, il fallait se battre chaque jour pour survivre, pour essayer de construire et d’avancer. Mais cela ne leurs faisaient pas peur. John quant à lui luttait parfois contre des démons intérieurs, il broyait du noir, mais lors de très courtes périodes de lucidité il était capable de résister et de trouver des trésors d’ingéniosité pour contourner l’ordre établi. Il traversait une période transitoire, visiblement quelque chose d’excitant c’était produit, mais il n’osait pas en parler de peur qu’on le prenne pour un fou. Il avait un besoin véritable d’écoute et d’attention et ne faisait malheureusement pas confiance à grand monde.

John: “Je suis content que tu sois là, tu sais Karry est partie cela fait maintenant huit ans déjà, je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour” . Visiblement il était très marqué encore, bien entendu il l’aimait toujours. “Tu attends toujours qu’elle s’en retourne?” lui répondit Gillmore. “Tu sais je te comprends, je ne sais pas si j’aurais put supporter que Moreen me quitte.” Les deux hommes se comprenaient, chacun faisant un pas vers l’autre. Gillmore faisait preuve de bienveillance et tentait de réconforter John. Le feu crépitait toujours, il était certes tard, mais il était trop tôt pour eux de prendre congé pour la nuit. John proposa à son ami de profiter encore un peu de la chaleur de la cheminée avant de se coucher. “Tu sais je t’ai préparé une des chambres des garçons, ils ne viennent presque plus ces temps-ci!” dit-il d’un air agacé. “Les vols sont trop contrôlés, les prix sont exhorbitants également, c’est une véritable atteinte à notre liberté!” .

Effectivement il était devenu de plus en plus difficile de se déplacer au sein de ce qui restait de l’Union. Les vols étaient sous surveillance, il fallait montrer patte blanche ou plutôt le poignet droit. Ils avaient réussi leur coup, injecter la fameuse puce. Un véritable cézame selon les spécialistes. Un nom de code à vrai dire, une séquence de chiffres et de lettres était supposée contenir toute une vie et plus encore. Les non-initiés faisaient confiance, mais beaucoup doutaient que cela était sans danger. Le codage était tel que l’on ne pouvait pas savoir à quel fin il serait utilisé. Mais avaient-ils le choix? Gillmore ne se déplaçait qu’avec le YMIS(1). Le Yellow Movement Individual Support avait vu le jour bien avant la crise sanitaire. De nombreux groupuscules de tous bords, de toutes sensibilités avaient fusionné, l’Europe était déjà au bord du chaos, après le Brexit il y avait eu l’Italia-esce(2), suivi par le Skandia-SpringaVak(3) et pour finir l’Europe de l’Est s’était ralliée aux Républiques Russes.

“John ou as-tu déposé mon BOB(4)?” , “J’aimerai te montrer quelque chose, tu sais je ne voyage plus sans mon sac de survie, il m’a déjà rendu bien des services, j’ai réussi à l’alléger au maximum, mais on ne peut pas faire l’impasse sur certaines choses!” . Gillmore était devenu un spécialiste du “Bug-Out-Bag” , c’était devenu un peu comme une seconde nature chez lui. Depuis plus de vingt ans il faisait des séminaires survivalistes. Il était incollable sur le sujet ou presque. Comment fabriquer un filtre pour purifier l’eau, comment faire du feu sans briquet ni allumettes, comment lutter efficacement contre le froid. Le sujet était certes inépuisable, mais c’est justement cela qu’il aimait, se dépasser encore et encore, faire toujours plus avec toujours moins. Avaient-ils seulement le choix?

(1) YMIS: Yellow Movement Individual Support ou Mouvement Jaune de Soutien Individuel (2) Italia-Esce: Sortie de l’Europe de l’Italie 2021 (3) Skandia-SpringaVak: Sortie retentissante des pays d’Europe du Nord (Suède, Finlande, Danemark) en 2022 (4) BOB: Bug-Out-Bag ou sac de survie pour 72h.